lundi 23 juillet 2007

Otages du parti socialiste ?


Libération : vendredi 2 mars 2007

Ça recommence ! On s'agite, on panique, on s'affole à l'approche des élections : après Etienne Balibar et ses amis ( Libération du 12 février), Jacques Julliard y va de ses imprécations dans une tribune publiée le 26 février.

Il s'agit dans les deux cas, sur un registre moralisateur, de dénoncer l'irresponsabilité des contempteurs de Ségolène Royal : militants d'extrême gauche, éléphants socialistes et FFA (fonctionnaires frondeurs anonymes). Cette petite musique est maintenant familière : la gauche n'est pas la droite, le PS et sa candidate sont de gauche, le principal candidat de la droite est un homme dangereux, la seule perspective sensée pour la gauche est de s'en tenir à une discussion et une critique «fraternelles», et de préparer son «rassemblement final» autour de la candidate du PS. En clair : tous ceux qui, un tant soit peu, nuisent aux chances de Ségolène Royal d'être présente au second tour de la présidentielle et d'être élue, tous ceux-là sont, sinon des salauds, du moins des idiots. On invoque bien entendu au passage le spectre du 21 avril 2002. Salauds, vous dis-je !

Que l'on ne se méprenne pas. Participation tactique au processus électoral et vote «utile» n'ont rien d'inconcevable pour nous. Il n'y a en effet pas à fétichiser le vote comme s'il en allait du salut de notre âme. Et il n'est certes pas déraisonnable d'envisager de voter pour la candidate du PS, ou plutôt contre celui de l'UMP. Et même d'appeler à le faire.

Non, là n'est pas vraiment le problème. Le problème avec cet appel (laissons de côté Julliard, qui voit en Ségolène Royal le moteur d'une rénovation «moderne et populaire» du PS, dont l'anticipation ne peut que réjouir l'homme de droite de gauche qu'il est), c'est qu'il se trompe de cibles. Comme si les orientations de Ségolène Royal, sa stratégie et son identification à une certaine image de la féminité (analysée avec perspicacité par Eric Fassin dans Libération le 13 février) n'avaient pas des conséquences plus néfastes que la bêtise des apparatchiks de son parti. Comme si plus de vingt ans d'une dérive libérale-sécuritaire de ce parti ne pesaient pas infiniment plus que les petits calculs des candidats de la gauche de gauche, et ne rendaient pas éminemment problématique ce « nous» dans lequel les signataires de cet appel voudraient réunir les scories d'une gauche défunte. Comme s'il était nécessaire de maintenir la fiction de ce «nous» pour justifier de voter Ségolène Royal. Comme s'il était parfaitement illégitime de se demander s'il n'est pas temps de refuser d'être pris en otage par le PS à chaque élection («Au secours, la droite revient !»).

Ce qu'il y a de particulièrement triste et rageant dans cet appel, étant donné ses signataires, c'est qu'il ne peut qu'alimenter la fabrique de l'impuissance et de la dépolitisation dont il est le produit. «Votez et circulez, y a rien à voir, y a rien à dire.» Y a vraiment de quoi se foutre en rogne !


Jérôme Vidal est éditeur et traducteur. Il a publié récemment Lire et penser ensemble. Sur l'avenir de l'édition indépendante et la publicité de la pensée critique, Paris, éditions Amsterdam, coll. Démocritique, 2006.

http://www.liberation.fr/actualite/politiques/238276.FR.php