jeudi 5 mars 2009

Le NPA, un parti « travailliste » ?


par Jérôme Vidal


(une version légèrement abrégée de cet article a paru dans l'édition du 7 février 2009 du Monde)



Tous ceux qui déplorent depuis des années non seulement l'autisme du Parti socialiste, son incapacité à servir de catalyseur et de relais institutionnel aux revendications démocratiques, mais aussi, surtout, son rôle plus ou moins avoué de promoteur de la transformation néolibérale et sécuritaire des institutions, devraient se réjouir de la création d'un Nouveau Parti Anticapitaliste. Et cela, quels que soient les réserves, les doutes et les interrogations que ce parti en formation peut déjà susciter. La création du NPA, en ouvrant la perspective d'une fin de la domination exclusive du PS à gauche, avec un Parti communiste et des Verts « satellisés », dégage en effet des marges d'action pour toutes les gauches, pour tous ceux à qui il importe encore de relancer un mouvement de transformation démocratique radicale de la société. Disons-le fortement : ceux qui au sein de la gauche de gauche font aujourd'hui les fines bouches, ceux qui s'engagent dans des chicanes dilatoires pour mettre en doute l'intérêt de la création du NPA, alors même que le sens de cette création n'est pas fixé, tous ceux-là se trompent gravement. Il ne saurait pour autant être question de « verrouiller » les débats, de taire nos réserves, nos doutes, nos interrogations, voire nos désaccords. Personne n'y a intérêt, et surtout pas le NPA.


La présence probable au sein des instances dirigeantes du nouveau parti de l'un des manipulateurs politico-médiatiques qui ont fabriqué de toutes pièces la dernière et désastreuse « affaire » du foulard – ce merveilleux cadeau fait à la droite alors au pouvoir – n'augure rien de bon quant à sa capacité à aborder les questions posées par les populations issues de l'immigration (post-)coloniale. Peu de doute sur le fait qu'une telle incompréhension de la question postcoloniale, si elle se confirme, réduira le NPA à être un parti tout aussi « blanc » que ses voisins moins à gauche. Le NPA, comme l'ensemble de la gauche, doit sur ce point entreprendre un véritable aggiornamento s'il souhaite sortir de l'impasse intellectuelle et politique actuelle.


Peut-être cette difficulté à se saisir de la question postcoloniale n'est-elle pas sans rapport avec le prisme « anticapitaliste » exclusif adopté jusqu'à la création du NPA. Peut-on encore, en 2009, après des décennies de critique postcoloniale, féministe et gay, suggérer que l'hétérosexisme ou le racisme sont réductibles au capitalisme, ou qu'ils peuvent en être « déduits », et qu'anticapitalisme, antisexisme et antiracisme se confondent ou sont nécessairement liés ? Si le capitalisme articule en son sein toutes les formes de domination, celles-ci n'en subsistent pas moins, pour ainsi dire, indépendamment de lui. L'articulation entre les résistances aux différentes formes d'oppression ne peut dès lors qu'être problématique. On voit mal comment une gauche digne de ce nom pourrait se redéployer sans enfin tirer les conséquences de ce fait. Il est vrai que les idéologues petits-bourgeois de la réaction anti-68 à gauche – qui affirment, selon une perspective téléologique qui est un véritable déni de l'histoire, que les luttes des minorités pour l'égalité et les luttes contre les formes contemporaines de l'aliénation des années 68, disqualifiées en tant que « critique artiste », ont sapé la « critique sociale » et servi de terreau à l'offensive néolibérale – n'ont pas peu contribué à entretenir la plus grande confusion sur ces questions. Si le NPA doit être autre chose qu'un parti au discours ouvriériste, s'efforçant de reprendre la fonction tribunitienne qui était celle du PCF, il devra faire les comptes des effets délétères de la « pensée » anti-68. C'est là la condition sine qua non de la mise en œuvre d'une stratégie contre-hégémonique véritable.


L'ouvriérisme et le « travaillisme » sont certainement, de ce point de vue, l'écueil principal auquel est exposé le NPA. Que l'effacement de la figure ouvrière, le refoulement de la condition ouvrière hors du discours politique légitime, l'abandon de la critique de l'exploitation et du prisme de la lutte de classe aient contribué à défaire la gauche depuis au moins une trentaine d'années ne fait aucun doute. Mais mettre un terme à cet effacement, à ce refoulement et à cet abandon n'implique nullement de réactiver le dispositif rhétorique qui était celui du PCF, lequel combinait un anticapitalisme verbal et une pratique « travailliste » de cogestion du compromis social desdites Trente Glorieuses. C'est ce compromis qui a volé en éclat avec l'insubordination ouvrière et les luttes « minoritaires » des années 1968, ainsi qu'avec l'offensive néolibérale contemporaine. Si l'anticapitalisme du NPA avait pour contenu réel l'agitation d'un retour impossible à ce compromis dont les conditions historiques sont révolues – comme si la question n'était que d'inverser les rapports de forces et ainsi de remonter le cours de l'histoire –, il se préparerait des lendemains qui déchantent. Force est malheureusement de constater que ce qui domine le plus souvent aujourd'hui dans les prises de position de son porte-parole, Olivier Besancenot, c'est précisément cet ouvriérisme et ce travaillisme, qui semblent n'avoir pour perspective concrète, à court terme, que la défense de l'emploi et, à plus long terme, le retour au plein-emploi et à la société salariale des Trente Glorieuses.


Cette perspective est-elle réaliste, et est-elle même souhaitable ? Elle ne tient en tout cas aucun compte de la critique du salariat et de la réouverture de la question de la libération du travail, que, de l'insubordination ouvrière des années 1968 aux mouvements des précaires et des chômeurs plus récents, avec la critique que ces mouvements ont développée du néolibéralisme et du précariat généralisé, et avec l'émergence de la revendication d'un revenu optimal garanti universel, de nombreuses luttes ont contribué à entretenir et à remettre à l'ordre du jour. Quel que soit le caractère problématique de ces mouvements ou de cette revendication, qui font écho aux conditions réelles d'existence d'une majorité de nos contemporains, le NPA ferait fausse route s'il les ignorait et les écartait du cœur de son projet, en promouvant la fiction du retour à un âge révolu du mouvement ouvrier. Le NPA doit choisir entre anticapitalisme et « travaillisme ».


Quoi qu'il advienne, il est d'ores et déjà certain que sa création sera l'occasion de la réouverture de questions essentielles qui n'avaient plus droit de cité depuis les années 1980. Ne serait-ce que pour cela, il importe de saluer sa naissance.


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